[ Pobierz całość w formacie PDF ]

muscles est assurément le meilleur remède. Et c'est ici que l'on voit apparaître
la musique sous la forme du maître à danser, qui, par son petit crin-crin, règle
Alain, Propos sur le bonheur (1928) 180
au mieux la circulation viscérale. Ainsi la danse guérit de la timidité comme
chacun sait, mais soulage le cSur d'autre manière encore, en étirant les
muscles modérément et sans secousse.
Quelqu'un qui souffrait de la tête me disait ces jours-ci que les mouve-
ments de mastication, pendant les repas, le soulageaient aussitôt. Je lui dis :
«Il faut donc mâcher de la gomme, à la manière des Américains. » Mais je ne
sais s'il l'a essayé. La douleur nous jette aussitôt dans des conceptions méta-
physiques ; au siège de la douleur nous imaginons un mal, être fantastique qui
s'est introduit sous notre peau, et que nous voudrions chasser par sorcellerie. Il
nous paraît invraisemblable qu'un mouvement réglé des muscles efface la
douleur, monstre rongeant ; mais il n'y a point, en général, de monstre
rongeant ni rien qui y ressemble ; ce sont de mauvaises métaphores. Essayez
de rester longtemps sur un pied, vous constaterez qu'il ne faut pas un grand
changement pour produire une vive douleur, ni un grand changement pour la
faire disparaître. Dans tous les cas, ou presque, c'est une certaine danse qu'il
s'agit d'inventer. Chacun sait bien que c'est un bonheur d'étirer ses muscles et
de bâiller librement ; mais on n'a point l'idée de l'essayer par gymnastique,
afin de mettre en train ce mouvement libérateur. Et ceux qui n'arrivent pas à
dormir devraient mimer l'envie de dormir et le bonheur de se détendre. Mais,
tout au contraire, ils miment l'impatience, l'anxiété, la colère. Ici sont les
racines de l'orgueil, toujours trop puni. C'est pourquoi, empruntant le bonnet
d'Hippocrate, j'essaie de décrire la vraie modestie, sSur d'hygiène, et fille de
gymnastique et de musique.
4 février 1922
Alain, Propos sur le bonheur (1928) 181
Propos sur le bonheur (1928)
LXXXVI
L'art de se bien porter
28 septembre 1921
Retour à la table des matières
L'égalité d'âme ne reçoit pas, en général, de récompenses extérieures ;
mais elle est certainement favorable à la santé. Un homme heureux se laisse
oublier ; la gloire le viendra chercher quarante ans après sa mort. Mais contre
la maladie, plus intime que l'envie et bien plus redoutable, le bonheur est la
meilleure arme. Contre quoi l'homme triste trouve à dire que le bonheur est un
effet et non une cause ; c'est trop simplifier. La force fait qu'on aime la gym-
nastique ; mais la gymnastique volontaire donne force. Bref, il y a certaine-
ment une attitude viscérale, s'il est permis d'ainsi dire, qui favorise le combat
et l'élimination, et une autre, contraire, qui étrangle et empoisonne celui qui la
prend. Sans doute on ne peut pas étirer et masser ses propres viscères comme
on étend les doigts ; mais comme la joie est le signe évident d'une bonne
attitude viscérale, on peut parier que toutes les pensées qui vont à la joie
disposent aussi à la santé. Il faudrait donc se réjouir lorsque l'on est malade ?
Mais cela, dites-vous, est absurde et impossible. Attendez. On a assez dit que
l'existence de l'homme de guerre, les projectiles mis à part, était bonne pour la
santé. J'ai pu m'en rendre compte, ayant mené pendant trois ans l'existence du
lapin de garenne, qui fait trois tours dans la rosée, et rentre en son trou au
moindre bruit. Trois années sans ressentir autre chose que la fatigue et le
besoin de dormir. Or, j'avais l'estomac de mon siècle, et je traînais une
Alain, Propos sur le bonheur (1928) 182
maladie mortelle depuis mon âge de vingt ans, comme tous ceux qui pensent
sans agir. On a bientôt dit que cette prospérité du corps tient à l'air campa-
gnard et à la vie active ; mais j'aperçois d'autres causes. Un caporal d'infan-
terie, le même qui me disait : « Nous n'avons plus peur ; nous n'avons plus que
des transes », vint un jour à mon abri avec un visage qui exprimait le bonheur.
« Cette fois, dit-il, je suis malade. J'ai la fièvre ; le major me l'a dit ; je le
revois demain. C'est peut-être la typhoïde ; je ne tiens plus debout ; le paysage
tourne. Enfin c'est l'hôpital. Après deux ans et demi de boue, j'ai bien mérité
cette chance-là. » Mais je voyais bien que la joie le guérissait. Le lendemain il
n'était plus question de fièvre, mais bien de traverser les agréables ruines de
Flirey, et pour gagner une position encore pire.
Ce n'est pas une faute d'être malade ; la discipline ne peut rien dire contre,
ni l'honneur. Quel est le soldat qui n'a point guetté en lui-même, dans les
transports de l'espérance, les symptômes d'une maladie, même mortelle ? On
finit par penser, en ces jours atroces, qu'il est bien agréable de mourir de
maladie. De telles pensées sont bien fortes contre toute maladie. La joie
dispose le corps, en son intérieur, mieux que le plus habile médecin ne saurait
faire. Ce n'est plus cette peur d'être malade qui aggrave tout. S'il y eut, comme
on dit, des solitaires qui attendaient la mort comme une grâce de Dieu, je ne
m'étonne pas qu'ils soient morts centenaires. Cette durée que nous admirons
chez les vieillards, quand ils ont fini de s'intéresser à quelque chose, vient sans
doute de ce qu'ils ne sentent plus la peur de mourir. Choses qu'il est toujours
bon de comprendre, comme il est bon de comprendre que la raideur, qui vient
de peur, fait tomber le cavalier. Il y a un genre d'insouciance qui est une
grande et puissante ruse.
28 septembre 1921
Alain, Propos sur le bonheur (1928) 183
Propos sur le bonheur (1928)
LXXXVII
Victoires
18 mars 1911
Retour à la table des matières
Dès qu'un homme cherche le bonheur, il est condamné à ne pas le trouver,
et il n'y a point de mystère là-dedans. Le bonheur n'est pas comme cet objet en
vitrine, que vous pouvez choisir, payer, emporter ; si vous l'avez bien regardé,
il sera bleu ou rouge chez vous comme dans la vitrine. Tandis que le bonheur
n'est bonheur que quand vous le tenez ; si vous le cherchez dans le monde,
hors de vous-même, jamais rien n'aura l'aspect du bonheur. En somme on ne
peut ni raisonner ni prévoir au sujet du bonheur ; il faut l'avoir maintenant.
Quand il paraît être dans l'avenir, songez-y bien, c'est que vous l'avez déjà.
Espérer c'est être heureux.
Les poètes expliquent souvent mal les choses ; et je le comprends bien ; ils
ont tant de mal à ajuster les syllabes et les rimes qu'ils sont condamnés à rester
dans les lieux communs. Ils disent que le bonheur resplendit tant qu'il est au
loin et dans l'avenir, et que, lorsqu'on le tient, ce n'est plus rien de bon ;
comme si on voulait saisir l'arc-en-ciel, ou tenir la source dans le creux de sa
main. Mais c'est parler grossièrement. Il est impossible de poursuivre le
bonheur, sinon en paroles ; et ce qui attriste surtout ceux qui cherchent le
bonheur autour d'eux, c'est qu'ils n'arrivent pas du tout à le désirer. Jouer au
bridge, cela ne me dit rien, parce que je n'y joue pas. La boxe et l'escrime, de
Alain, Propos sur le bonheur (1928) 184
même. La musique, de même, ne peut plaire qu'à celui qui a vaincu d'abord
certaines difficultés ; la lecture, de même. Il faut du courage pour entrer dans
Balzac ; on commence par s'y ennuyer. Le geste du lecteur paresseux est bien
plaisant ; il feuillette, il lit quelques lignes, il jette le livre ; le bonheur de lire
est tellement imprévisible qu'un lecteur exercé s'en étonne lui-même. La
science ne plaît pas en perspective ; il faut y entrer. Et il faut une contrainte au
commencement et une difficulté toujours. Un travail réglé et des victoires
après des victoires, voilà sans doute la formule du bonheur. Et quand l'action
est commune, comme dans le jeu de cartes, ou dans la musique, ou dans la
guerre, c'est alors que le bonheur est vif.
Mais il y a des bonheurs solitaires qui portent toujours les mêmes mar-
ques, action, travail, victoire ; ainsi le bonheur de l'avare ou du collectionneur, [ Pobierz całość w formacie PDF ]

  • zanotowane.pl
  • doc.pisz.pl
  • pdf.pisz.pl
  • centurion.xlx.pl